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C'est la vie, que veux-tu
7 juillet 2017

Non, Simone de Beauvoir n'a pas collaboré avec les nazis pendant la guerre

Accuser Simone de Beauvoir, une figure illustre du féminisme français, d'être une collaboratrice pro-nazis ? Quelle aubaine pour les anti-féministes, qui consacrent un temps considérable à assimiler les féministes à des nazis ! J'imagine déjà le triomphe de certains qui ne trouvent pas dérangeant d'employer une expression telle que "féminazie", sans voir en quoi ce néologisme immonde frôle le négationnisme (pour rappel, les nazis ont exterminé des millions de gens, les féministes n'ont tué personne). Mais ce qui est inquiétant, c'est que la croyance en l'idée que Beauvoir aurait pu collaborer avec les nazis finit par se répandre aussi du côté de féministes. Plutôt que de laisser place aux fantasmes et aux raccourcis, je suggère qu'on en revienne aux faits.

D'où vient cette idée sur Beauvoir ? D'une biographe américaine apparemment mal renseignée, Deirdre Bair, qui écrit dans la biographie qu'elle consacre à Beauvoir que celle-ci aurait travaillé pour Radio-Paris pendant l'occupation allemande, Radio-Paris, sous contrôle allemand. Cette prétendue "info" a été  reprise et diffusée par Michel Onfray à la radio. Le seul problème, c'est que c'est inexact. Beauvoir a bien travaillé pour une radio pendant la guerre, mais il ne s'agissait pas de Radio-Paris, mais de Radio nationale, ou Radio-Vichy, qui était diffusée en zone "libre".

En 1943, Beauvoir est renvoyée de l'Education nationale, après 12 ans d'enseignement en tant que professeur de philosophie. En effet, Beauvoir avait une liaison avec une jeune femme de vingt ans, Nathalie Sorokine. A l'époque, l'âge de la majorité était encore à 21 ans. La mère de Nathalie Sorokine porta plainte contre Beauvoir pour détournement de mineure. L'enquête policière aboutit à un non-lieu, mais Beauvoir fut renvoyée. Elle fut donc directement victime de l'idéologie réactionnaire prônée par la propagande pendant cette période de guerre, son mode de vie ayant été jugé contraire aux "valeurs morales et familiales".

La même année, Jean-Paul Sartre écrit une lettre à Beauvoir où il lui annonce qu'il a trouvé un travail pour elle, par l'intermédiaire du directeur de la revue Comoedia : la production d'émissions de divertissement pour la radio nationale, sur des sujets tels que "Les origines du music-hall" ou "Une foire au Moyen âge". Beauvoir consentit apparemment à accepter ce travail car il n'avait pas de thématique politique. Dans son livre autobiographique, La Force de l'âge, elle écrit : "Les écrivains de notre bord avaient tacitement adopté certaines règles. On ne devait pas écrire dans les journaux et les revues de zone occupée, ni parler à Radio-Paris ; on pouvait travailler dans la presse de la zone libre et à Radio-Vichy : tout dépendait du sens des articles et des émissions". Si Beauvoir avait craint d'être accusée de collaboration pour ce travail à la radio, pourquoi l'aurait-elle évoqué explicitement dans son autobiographie ? Pour plus de détails concernant les émissions de divertissement produites par Beauvoir, je renvoie au livre Beauvoir dans tous ses états de Ingrid Galster. Chercheuse en littérature, Ingrid Galster a retrouvé les archives des émissions de radio en question, qui confirment le récit de Beauvoir : il s'agissait d'émissions de divertissement. Beauvoir écrivit également pour la radio une adaptation radiophonique du roman Lamiel de Stendhal.

On peut toujours s'interroger sur l'opportunité pour Beauvoir d'accepter ou de refuser ce travail dans un contexte de guerre, alors que les informations de la radio officielle se faisaient le relai de la propagande vichyssoise. Toujours est-il qu'il est malhonnête et insultant d'attribuer à Beauvoir de prétendues sympathies en faveur des nazis qui n'ont jamais été les siennes. Au contraire, Sartre et elle avaient ébauché auparavant le projet d'un groupe de résistance de gauche, baptisé "Socialisme et liberté", mais leurs tentatives pour rallier Malraux et Gide au projet n'aboutirent pas, et le groupe ne dépassa pas le stade des réunions clandestines. On peut donc espérer que les personnes qui relaient des informations inexactes sans les avoir vérifiées fassent preuve à l'avenir de davantage de précision...

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Commentaires
S
Merci pour cet article.<br /> <br /> <br /> <br /> J’aimerais toutefois noter, en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle « les féministes n'ont tué personne », qu’Erin Pizzey, qui a créé le premier refuge pour femmes victimes de violences conjugales, a reçu des menaces de mort de la part de féministes à cause de sa recherche selon laquelle les femmes seraient tout aussi capables de violence envers les hommes.<br /> <br /> <br /> <br /> Certes, on peut avancer que ces gens ne sont pas de vrais féministes… mais dans ce cas, peut-être que le terme « féminazi » ne s’applique qu’à eux, et pas aux autres.
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