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12 juillet 2015

Homophobie et islamophobie : l'injonction à la discrétion

Dans cet article, le site Les Mots sont importants fait un parallèle intéressant entre homophobie et islamophobie :

http://lmsi.net/On-peut-plus-rien-dire

Il y a un point commun que l'on retrouve dans certains discours homophobes et islamophobes : l'injonction à la discrétion. Une majorité hétérosexuelle enjoint la minorité homosexuelle et bisexuelle à se faire discrète ; une majorité de culture chrétienne (dans un contexte européen) enjoint la minorité musulmane à se faire discrète. Evidemment, le fait d'être gay ou lesbienne n'est pas comparable au fait de pratiquer une religion, ce sont deux choses différentes, mais on peut remarquer comment différents groupes minoritaires peuvent subir des phénomènes comparables.

Avec la promotion de l'égalité entre couples hétérosexuels et homosexuels, les discours homophobes sont davantage pointés du doigt de nos jours. Néanmoins, on entend ou lit encore parfois les propos de personnes qui déclarent : "Je n'ai rien contre les homosexuels, tant qu'ils sont discrets", "Je suis contre la Gay pride, car je pense que l'orientation sexuelle est quelque chose de privé, est-ce que les hétéros font des Hétéro pride ?"...

Ce genre de discours, en plus d'être homophobe, est d'une grande mauvaise foi. Attend t-on sérieusement des hétérosexuels qu'ils soient discrets ? L'idée même pourrait être à hurler de rire, tant la promotion de la norme sociale de l'hétérosexualité est constante, publique, et quasi permanente. Une personne hétérosexuelle peut bien, par pudeur personnelle, ne pas vouloir embrasser son partenaire en public, par exemple ; mais une personne hétérosexuelle est rarement amenée à se demander s'il lui faut être "discrète" en tant qu'hétérosexuelle. 

Souvent, quand une personne homosexuelle ou bisexuelle fait un "coming out" officiel, des gens réagissent en commentant : "Cela ne nous regarde pas, c'est quelque chose qui devrait être privé". Encore une fois on peut relever le deux poids deux mesures qui est à l'oeuvre. Une personne hétérosexuelle ne se demande jamais si son hétérosexualité doit rester "privée" ou non : l'hétérosexualité étant socialement perçue comme la norme, comme allant de soi, on ne songe pas à faire de "coming out hétérosexuel". Une personne publique hétérosexuelle peut sans problème faire une allusion à son conjoint, épouse ou mari, cela ne sera pas forcément perçu comme indiscret ; alors qu'une allusion similaire faite par une personne en couple homosexuel sera plus facilement jugée comme étant d'une terrible impudeur et indiscrétion. 

Un couple hétérosexuel peut s'afficher de manière publique en tant que couple sans que cela n'entraîne nécessairement de questionnement particulier, alors qu'un couple homosexuel qui fait la même chose peut se confronter à des questionnements difficiles à imaginer. J'ai lu un jour le commentaire sarcastique d'une personne qui ironisait sur "les pauvres homosexuels qui ne peuvent pas s'embrasser et se tenir la main dans la rue". Il est facile d'ironiser sur un privilège dont on bénéficie soi même, sans même savoir ce qu'implique le fait d'en être privé. Evidemment, un couple homosexuel peut être capable de faire l'effort de dissimuler certains gestes dans l'espace public, mais il n'en reste pas moins que c'est un effort contraignant, qui dépasse largement le fait de "se tenir la main en public". Un couple homosexuel qui évite de s'afficher en public peut être amené à censurer certains gestes, certaines paroles, à mentir sur la nature de la relation unissant les deux personnes. Ce qui paraît complètement anodin pour un couple hétérosexuel, comme le fait de présenter son conjoint à quelqu'un d'autre, par exemple, peut devenir beaucoup plus compliqué pour un couple homosexuel. Evidemment, dans un certain nombre de pays où l'homosexualité est dépénalisée, un couple homosexuel qui ne se cache pas n'est pas dans l'illégalité, mais les éventuelles réactions ambiguës ou hostiles peuvent suffire pour faire peser un poids contraignant les homosexuels à une discrétion forcée. Ce poids qui pèse sur les homosexuels et bisexuels maintient la norme sociale hétérosexuelle et limite l'expression publique de rapports plus diversifiés entre les sexes. 

Une injonction assez similaire à la discrétion pèse sur les personnes de religion musulmane dans le contexte français, avec une utilisation dévoyée du concept de "laïcité". La laïcité devient un nouveau prétexte pour refuser des droits aux personnes musulmanes, comme le simple droit de manifester sa religion de manière publique (avec le port de signes religieux comme le port du foulard, par exemple), droit pourtant garanti par la déclaration universelle des droits de l'homme, ratifiée par la France... Pour viser les musulmans, et les viser, eux seuls, on répète des discours selon lesquels la religion devrait être "privée", soi disant au nom de la laïcité. A ce sujet, je renvoie à cet article de Christine Delphy :

http://lmsi.net/La-religion-une-affaire-privee

J'ai lu un jour un témoignage particulièrement triste et choquant sur une jeune femme qui avait eu droit à une engueulade terrible dans l'école où elle suivait une formation simplement parce qu'elle avait pris un jour de congé pour la fête de l'Aïd, en informant l'école à l'avance de son absence... Bien entendu, rien de tel ne serait arrivé à une personne de culture chrétienne, sachant que de toute façon les fêtes chrétiennes sont fériées en France, et il suffit de ne pas travailler un jour férié pour pouvoir passer Noël ou Pâques avec ses proches, sans pour autant être soupçonné-e de "radicalisation", de "non intégration" ou je ne sais quel autre délire... 

Dans la période d'hystérie islamophobe qui est la nôtre, le simple fait qu'une personne respecte certaines règles liées à la pratique de l'islam (ne pas manger de porc, ne pas boire d'alcool, jeûner pendant le Ramadan...) finit par être interprété par certaines personnes mal informées comme un "non respect de la laïcité", un étalage scandaleux de sa pratique religieuse, voire un signe de "radicalisation". Au passage, cela me rappelle que dans mon école primaire publique et laïque, on fêtait Noël et on mangeait du poisson tous les vendredis à la cantine (j'ai compris plus tard que c'était lié à la culture chrétienne), mais cela n'a jamais choqué personne ni été vu comme un signe de terrible intégrisme chrétien... 

Autre signe de l'inquiétante islamophobie actuelle, l'obsession autour des jeunes filles musulmanes portant des jupes longues dans certains établissements scolaires. La désolante histoire de Sirine, une collégienne renvoyée de son établissement parce qu'elle portait une jupe longue et conservait un petit bandeau en classe, illustre bien celle-ci :

http://www.liberation.fr/societe/2013/04/04/la-jupe-et-le-bandeau-lettre-a-sirine_893735

Il y avait probablement d'autres collégiennes non musulmanes qui portaient des jupes longues et des bandeaux du même style. Il y a probablement beaucoup de collégiennes ou lycéennes non musulmanes qui peuvent mettre des jupes longues ou des robes de ce style. Mais dès lors que c'est une jeune fille musulmane qui adopte ce genre de look vestimentaire,, celui-ci est perçu comme étant un scandaleux étalage "islamique" (d'autant plus quand la jeune fille porte le foulard en dehors de l'établissement, ce que les enseignants peuvent éventuellement remarquer). Ainsi la même jupe, n'ayant rien de spécifiquement "religieux", pourra susciter des réactions complètement différentes en fonction de la religion de l'élève qui la porte ! Ce n'est même pas la jupe en elle-même qui est trop "visible", mais l'élève à qui on reproche apparemment ainsi d'être tout bonnement musulmane... 

http://blog.entrailles.fr/2011/03/sois-blanche-et-tais-toi/

L'injonction à la discrétion pour les personnes homosexuelles et musulmanes est particulièrement forte dans un contexte où ces personnes peuvent être amenées à s'occuper d'enfants. Ainsi, on ne cesse de débattre pour savoir si une femme musulmane portant le foulard peut s'occuper d'enfants en crèche, être assistante maternelle ou accompagner des sorties scolaires. La même obsession concernant la prise en charge des enfants se retrouve dans les discours homophobes : des homophobes présentent comme un danger le fait que des couples homosexuels élèvent des enfants, ou encore s'élèvent contre les interventions d'associations contre l'homophobie dans des écoles, sans parler du délire général sur la prétendue "théorie du genre" ou le "gender", délire qui a été favorisé par la "Manif pour tous" et par la droite et l'extrême-droite...L'idée étant que les enfants devraient être protégés de la supposée influence toute puissante qui pourrait être exercée sur eux (apparemment, il faut croire qu'un enfant pourrait se convertir immédiatement à l'islam à la simple vue d'un foulard, ou devenir aussitôt homosexuel en rencontrant des homosexuels !). 

Au fond, ce que nous dit cette injonction à la discrétion, c'est qui a le pouvoir et qui ne l'a pas. La majorité hétérosexuelle peut se permettre de demander aux homosexuels et bisexuels d'être "discrets", la majorité de culture chrétienne peut rappeler à l'ordre les personnes de culture musulmane jugées trop visibles. Quand ce ne sont pas de simples injonctions verbales ou des mesures légales, cela peut passer par la violence (agressions homophobes, agressions de femmes portant le foulard). C'est contre cette injonction à la discrétion qu'est née la Gay pride, pour le droit des LGBT à être visibles et surtout pas cachés ou discrets. Raphaël Liogier, auteur du livre Le mythe de l'islamisation, a d'ailleurs suggéré que les musulmans puissent faire leur "Muslim pride"... 

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