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C'est la vie, que veux-tu

31 décembre 2018

Trop de bite

Il paraît que les femmes féministes ont besoin de coups de bite. C'est en tout cas ce que disent certains hommes dont j'ai pu lire la prose délicieuse sur les réseaux sociaux. Car apparemment, si nous avions pris assez de "coups de bite" à leur goût, nous ne serions pas féministes. Baisées, matées, dressées par notre mâle dominant, nous saurions rester à notre place et nous n'aurions pas l'idée saugrenue de parler d'égalité des sexes. 

L'expression "coup de bite" est d'ailleurs assez révélatrice. Un coup, comme se prendre un coup de poing ou de pied. Pas du plaisir, du partage, de la sensualité, non, un coup, pour nous dresser, nous, les femmes pas assez soumises. Quand cela ne va pas tout bonnement jusqu'à la menace explicite de viol, d'autant plus banalisée sur les réseaux sociaux qu'elle est rarement sanctionnée. 

ROCCO

(Commentaire à propos d'une annonce de colocation, deux femmes précisant qu'elles ne souhaitaient pas de colocataire homme cis. Un commentateur avisé en a donc déduit qu'elles avaient besoin de "coups de bites". LA LOGIQUE)

D'où vient cette fascination égocentrique qu'ont beaucoup d'hommes cis pour leur bite ? Freud pensait que les petites filles étaient frustrées lorsqu'elles découvraient qu'elles n'avaient pas de pénis. D'après mon expérience personnelle et ma propre enfance : non. Cependant ce mythe des femmes cis qui désireraient avoir un pénis n'a pas complètement disparu des têtes, puisque certains hommes antiféministes sont convaincus que les femmes veulent avoir une bite, ou alors qu'elles veulent des coups de bite. Tout cela ne semble pas très clair dans leurs têtes embrouillées, la seule chose claire étant qu'une femme aurait BESOIN du pénis, sans lequel elle ne saurait pas vivre. 

L'obsession de la bite prend volontiers des relents lesbophobes et transphobes. Ainsi on demande à des femmes lesbiennes si cela ne leur manque pas, quand ce ne sont pas des harceleurs dans l'espace public qui s'en prennent à des couples de femmes avec de délicates invitations au coït. 

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 Témoignage tiré de la page Lesbeton

Les femmes trans subissent autrement cette obsession de la bite : questions indiscrètes ("Vous êtes opérée ou pas ?") visant à savoir si oui ou non, elles l'ont toujours, clichés dégradants. L'auteure américaine trans Julia Serano, dans son essai Whipping girl, décrit un cliché qui revient fréquemment sur les femmes trans dans la fiction : une femme trans séduisante, ultra "féminine", et "passant" pour cis, réussit à séduire un homme cis, mais elle est "trahie" par la découverte de son pénis. Les plaisanteries récurrentes sur le pénis (réel ou supposé) des femmes trans jouent sur la même obsession transphobe : une femme trans peut "passer" pour cis, mais une allusion grossière à son appareil génital permet de la "remettre à sa place" pour lui faire comprendre qu'elle n'est pas vraiment considérée comme une femme. Le fait qu'une femme trans prenne la décision de se faire construire un vagin par opération chirurgicale suscite une fascination mêlée de répulsion : comment un être humain doté d'un pénis peut-il décider de s'en séparer, d'avoir un vagin à la place ? Comment peut-on souhaiter avoir un vagin ? Puisque Freud a dit que les femmes veulent un pénis ! C'est une incompréhension totale pour certains hommes cis qui demeurent naïvement convaincus que les femmes les envient et sont jalouses d'eux parce qu'elles veulent leur bite. Scoop : un être humain épanoui peut très bien vivre sans. Est-ce que je me demande, moi, comment font les hommes cis pour vivre sans ce clitoris merveilleux qui permet de jouir rapidement, longtemps et par la simple grâce d'une caresse manuelle ? Re-Scoop : aucun besoin de bite pour jouir et avoir des orgasmes. 

Clitoris

Le pauvre, s'il savait... 

Donc, chers hommes cis, si vous êtes concernés par tout ce que j'ai dit, si votre bite vous fascine à ce point, faites-vous une auto-fellation et laissez en dehors de tout ça le reste de l'humanité qui ne partage pas forcément votre idolâtrie. Merci. 

 

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Mais apparemment, avec Audrey Dana, on n'est pas non plus sorties de l'auberge. La bite, toujours la bite. Est-ce un hasard, cependant, si une femme bénéficie plus facilement d'une promotion médiatique conséquente en faisant ce genre de film ?

 

 

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31 décembre 2018

Comment certains discours sionistes contribuent à l'antisémitisme

On accuse régulièrement les personnes qui se revendiquent antisionistes de contribuer à la montée de l'antisémitisme. Comme je l'écrivais dans mon article précédent sur le sionisme, la confusion est d'autant plus grande que certaines personnes se décrivent comme "antisionistes" alors qu'elles sont en réalité antisémites (coucou Dieudonné).

Cependant, on pourrait mettre en avant le fait que certains discours sionistes, qui prétendent soutenir les juifs, peuvent contribuer à la montée de l'antisémitisme et à la banalisation de préjugés antisémites.

On en a un bel exemple avec cet article scandaleux publié récemment par Jacques Tarnero :

http://www.huffingtonpost.fr/jacques-tarnero/luniversite-paris-viii-fait-elle-partie-des-nouveaux-territoires-perdus-de-la-republique_b_5017620.html

 

Dans cet article, l'auteur s'évertue à démontrer que les militant-e-s pour la cause palestinienne qui soutiennent le mouvement BDS (Boycott Désinvestissement Sanction) seraient... des héritiers du nazisme ! Rien que ça. La comparaison entre ce mouvement et l'antisémitisme est constante dans l'article :

En utilisant le masque émancipateur de la lutte anti apartheid, ces militants reconduisent les gestes des nazis dans les années 30 qui barbouillaient d'étoiles juives les magasins à boycotter. On connaît la suite de cette histoire. (...)

Désormais c'est au nom de l'antiracisme que des juifs "sionistes" ont été expulsé d'une manifestation anti-raciste à Toulouse par des militants d'extrême-gauche Aux cris de "sionistes, fascistes, barrez-vous" ils renvoyaient comme un sinistre écho des "juif, casse-toi, la France n'est pas à toi" scandés dans les rues de Paris, lors de la manifestation nommée "jour de colère" de janvier dernier.

La comparaison est évidemment d'une mauvaise foi crasse. On a le droit de ne pas approuver la méthode du boycott, mais encore faut-il avancer des arguments au lieu de se livrer à une pareille diffamation. Pour rappel, les militant-e-s qui invitent à boycotter l'état israélien ne suggèrent pas de boycotter les juifs en général (d'ailleurs parmi ces militant-e-s il y a des juifs...) ; et une phrase comme "sionistes, barrez-vous" ne vise pas spécifiquement les juifs (les juifs ne sont pas tous sionistes, et les sionistes ne sont pas tous juifs...).

Au passage, l'auteur n'oublie pas d'ajouter des amalgames islamophobes :

Dans les banlieues toute la frustration sociale a trouvé ainsi le bouc émissaire de son mal être. Des Palestiniens par procuration jouent à l'intifada contre les démons sionistes. Les juifs portant kippa n'y sont plus bien vus par ceux qui ont fait de Mohamed Merah leur héros. On peut bien rêver que la République laïque et obligatoire ne tolèrera jamais cela et que le fascisme ne passera pas. Trop tard, le fascisme est déjà passé et ce fascisme qui vient, pour reprendre le titre d'un ancien livre de Jacques Julliard n'est pas celui qu'on attendait. L'islamo-gaucho-fasciste en est la nouvelle incarnation.

Et voilà : pour l'auteur, les antisémites sont de vilains musulmans (pardon, "islamogauchistes") de banlieue. Mais quel rapport avec l'islam ? Beaucoup de militant-e-s qui soutiennent la cause palestinienne ne sont pas musulmans, mais apparemment Jacques Tarnero n'en est pas à un raccourci haineux près.

Ce qui menace aujourd'hui les français juifs en France menace tous les Français. Ce qui menace Israël menace la France. Ne pas le comprendre est suicidaire.

Le bouquet final : la condamnation légitime de l'antisémitisme en France serait donc équivalente au fait de soutenir Israël ! 

On retrouve des raccourcis mensongers similaires dans un texte récent signé Christian Estrosi :

http://www.tel-avivre.com/2014/06/10/je-suis-fier-detre-un-ami-disrael-par-christian-estrosi/#

Quelques jours avant d’être à nouveau présent sur la Terre d’Israël, des 15 au 17 juin prochains, je souhaite m’exprimer dans ces colonnes afin de marquer mon engagement dans la lutte contre l’anti-judaïsme, qui gagne partout du terrain, et contre l’odieuse campagne internationale de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) qui sévit au plan international. (...) 

A ceux qui soutiennent sans discernement la campagne de boycott contre Israël, je veux dire qu’ils ne nuisent pas à l’Etat juif mais à la paix ; de plus, les assassins et les terroristes qui prônent le meurtre du Juif sont ravis de ce soutien qui conforte à leurs yeux les actes criminels. (...)

Face à la mécanique inacceptable qu’est la judéophobie, il est impératif que des élus de la République française et d’autres pays s’engagent et fassent rempart pour protéger les Juifs et soutenir Israël. Je suis et serai toujours de ceux-là.

Là encore, les militant-e-s BDS sont mis sur le même plan que des agresseurs antisémites ; là encore, la lutte contre l'antisémitisme est associée au fait de soutenir Israël. Ainsi, on l'aura compris, ces discours sionistes qui prétendent soutenir la population juive et s'élever contre l'antisémitisme sont surtout des discours destinés à soutenir Israël, en diffamant les personnes soutenant la cause palestinienne.

En réalité, de tels propos ne sont pas "contre l'antisémitisme", et cultivent au contraire des préjugés dangereux sur les juifs. Ainsi,

- la lutte contre l'antisémitisme est associée au fait de soutenir Israël (il serait donc interdit de ne pas soutenir Israël, sous peine d'être accusé d'antisémitisme ?).

- les juifs français (et les juifs en général) sont associés à Israël, comme s'ils en étaient indissociables... C'est oublier un peu vite que certaines personnes juives peuvent ne pas avoir de lien particulier avec Israël, ou s'en foutre, ou être hostiles à la politique menée au nom de cet état... Il est complètement simpliste et ignorant de faire comme si Israël représentait, de tout temps et de toute éternité, les juifs et le judaïsme.

- les juifs sont présentés comme d'emblée victimes des actions en faveur de la cause palestinienne (alors qu'ils peuvent s'en foutre, ou y prendre une part active...). Au passage, c'est quand même un raisonnement étrange de sous-entendre que la défense des droits d'une population est forcément un danger pour une autre.

De tels propos défendent une vision "communautaire" du conflit israélo-palestinien : les juifs sont décrits comme liés de toute éternité à Israël et hostiles à la cause palestinienne ; la cause palestinienne est assimilée aux musulmans (qui selon Jacques Tarnero, ne peuvent apparemment défendre cette cause que par antisémitisme !). Alors que, ironie du sort, ce conflit n'est pas fondamentalement un conflit religieux (bien que certaines personnes peuvent lui donner une dimension religieuse).

Soutenir la cause palestinienne n'a rien à voir avec le fait d'être arabe et/ou musulman ; on peut soutenir cette cause tout simplement pour défendre les droits humains, et lutter contre le colonialisme. Ce n'est pas défendre les juifs que se présenter ainsi comme "ami d'Israël", et nul doute que certains juifs se passeraient volontiers d'une telle "amitié"...

31 décembre 2017

L'usage du mot "sioniste"

Dans le genre mot polémique, il y a celui-ci. Sioniste, sionisme. Ces mots sont souvent employés sans toujours être clairement définis. De quoi parle t-on au juste ?

 

C'est quoi le sionisme ?

Pour résumer rapidement, on peut dire que le sionisme est une idéologie politique pronant la création d'un Etat juif en terre d'Israël (sachant que "Israël", à l'origine, est un mot religieux employé dans la Bible).

Le sionisme peut être fondé sur une certaine vision du judaïsme, et l'opposition au sionisme aussi. On peut être juif sans être sioniste, ou être sioniste sans être juif. On peut être sioniste et athée (ou d'une religion autre que le judaïsme), parce qu'on défend l'idéologie sioniste pour des raisons politiques et non religieuses.

Les sionistes n'ont pas tous les mêmes opinions, il y a différents courants sionistes. Ainsi, parmi les sionistes, il peut y avoir des gens favorables à la reconnaissance d'un Etat palestinien distinct d'Israël, par exemple, ou au contraire d'autres qui veulent étendre l'Etat israélien en chassant les Palestiniens.

 

Antisionisme

Etre antisioniste, c'est donc, logiquement, être contre l'idéologie sioniste.
Contrairement à ce qu'affirment certaines personnes, antisionisme n'est donc pas synonyme d'antisémitisme.

Je sais qu'il existe une stratégie argumentative visant à convaincre que l'antisionisme serait forcément fondé sur l'antisémitisme. Du genre : "Si tu es antisioniste, tu es contre l'émancipation des juifs, donc tu es antisémite". Ce genre d'argumentation ne me convainc pas. Déjà, je ne vois pas pourquoi l'émancipation des juifs devrait obligatoirement passer par Israël. En tout cas, il ne me viendrait pas à l'esprit d'expliquer à des juifs comment ils doivent ou ne doivent pas s'émanciper, et quelle serait leur émancipation obligatoire. L'idée qu'Israël représente l'émancipation des juifs, tous les juifs, est quand même très douteuse. Par ailleurs, comment peut-on s'émanciper si cette émancipation contribue à l'oppression d'un autre peuple ? (les Palestiniens)

Ceci étant dit, je pense qu'il ne faut pas négliger le fait qu'il existe des personnes antisémites qui se décrivent comme "antisionistes" pour dissimuler (avec plus ou moins de succès) leur antisémitisme, et ces personnes-là affichent parfois un militantisme pro-Palestine. A mon avis, cela ne fait que du mal à la cause palestinienne.

 

Quand l'usage du mot "sioniste" est perverti...

On lit parfois des phrases ô combien bizarres dans les multiples commentaires sur Internet. Du style : "Les sionistes contrôlent le monde", "Nos médias sont dirigés par les sionistes", "le complot sioniste est partout", etc...

Le genre de phrases où on reconnaît de vieux clichés antisémites, sauf que le mot "sioniste" a remplacé le mot "juif" (c'est bien pratique : une personne antisémite peut ainsi sortir des énormités antisémites, mais en disant "sioniste" et pas "juif" pour paraître plus respectable). Pour certaines personnes, la confusion entre "juif" et "sioniste" est parfois totale.

Un bel exemple de cette confusion a été donné récemment dans Le Petit journal sur Canal plus. Le présentateur Yann Barthès fait allusion à des propos racistes sur un ton grave, puis des images sont diffusées où on voit un jeune manifestant qui court vers un journaliste de I Télé (qui passait sur I Télé en direct) en criant "I Télé bande de sionistes" (quel sens prête t-il à ces mots, au final, on n'en sait rien).

Evidemment, contrairement à ce que semblait vouloir prouver le Petit journal, le mot "sioniste" n'est absolument pas une insulte raciste. Ce qui est vrai, en revanche, c'est qu'il y a parfois des gens qui emploient le mot "sioniste" avec des arrières-pensées antisémites plus ou moins explicites. Au point qu'on peut parfois se sentir quelque peu gêné-e en employant le mot, par peur d'être assimilé-e à certaines personnes qui lui prêtent un sens vague ou fantaisiste. Cette confusion autour du mot peut nuire à toute forme de débat sur le sionisme ou l'antisionisme.

Pour conclure de manière succinte : être critique vis-à-vis de l'idéologie sioniste, être solidaire de la cause palestinienne, c'est bien. L'être en refusant de cautionner toute forme de récupération antisémite, c'est mieux.

7 juillet 2017

Non, Simone de Beauvoir n'a pas collaboré avec les nazis pendant la guerre

Accuser Simone de Beauvoir, une figure illustre du féminisme français, d'être une collaboratrice pro-nazis ? Quelle aubaine pour les anti-féministes, qui consacrent un temps considérable à assimiler les féministes à des nazis ! J'imagine déjà le triomphe de certains qui ne trouvent pas dérangeant d'employer une expression telle que "féminazie", sans voir en quoi ce néologisme immonde frôle le négationnisme (pour rappel, les nazis ont exterminé des millions de gens, les féministes n'ont tué personne). Mais ce qui est inquiétant, c'est que la croyance en l'idée que Beauvoir aurait pu collaborer avec les nazis finit par se répandre aussi du côté de féministes. Plutôt que de laisser place aux fantasmes et aux raccourcis, je suggère qu'on en revienne aux faits.

D'où vient cette idée sur Beauvoir ? D'une biographe américaine apparemment mal renseignée, Deirdre Bair, qui écrit dans la biographie qu'elle consacre à Beauvoir que celle-ci aurait travaillé pour Radio-Paris pendant l'occupation allemande, Radio-Paris, sous contrôle allemand. Cette prétendue "info" a été  reprise et diffusée par Michel Onfray à la radio. Le seul problème, c'est que c'est inexact. Beauvoir a bien travaillé pour une radio pendant la guerre, mais il ne s'agissait pas de Radio-Paris, mais de Radio nationale, ou Radio-Vichy, qui était diffusée en zone "libre".

En 1943, Beauvoir est renvoyée de l'Education nationale, après 12 ans d'enseignement en tant que professeur de philosophie. En effet, Beauvoir avait une liaison avec une jeune femme de vingt ans, Nathalie Sorokine. A l'époque, l'âge de la majorité était encore à 21 ans. La mère de Nathalie Sorokine porta plainte contre Beauvoir pour détournement de mineure. L'enquête policière aboutit à un non-lieu, mais Beauvoir fut renvoyée. Elle fut donc directement victime de l'idéologie réactionnaire prônée par la propagande pendant cette période de guerre, son mode de vie ayant été jugé contraire aux "valeurs morales et familiales".

La même année, Jean-Paul Sartre écrit une lettre à Beauvoir où il lui annonce qu'il a trouvé un travail pour elle, par l'intermédiaire du directeur de la revue Comoedia : la production d'émissions de divertissement pour la radio nationale, sur des sujets tels que "Les origines du music-hall" ou "Une foire au Moyen âge". Beauvoir consentit apparemment à accepter ce travail car il n'avait pas de thématique politique. Dans son livre autobiographique, La Force de l'âge, elle écrit : "Les écrivains de notre bord avaient tacitement adopté certaines règles. On ne devait pas écrire dans les journaux et les revues de zone occupée, ni parler à Radio-Paris ; on pouvait travailler dans la presse de la zone libre et à Radio-Vichy : tout dépendait du sens des articles et des émissions". Si Beauvoir avait craint d'être accusée de collaboration pour ce travail à la radio, pourquoi l'aurait-elle évoqué explicitement dans son autobiographie ? Pour plus de détails concernant les émissions de divertissement produites par Beauvoir, je renvoie au livre Beauvoir dans tous ses états de Ingrid Galster. Chercheuse en littérature, Ingrid Galster a retrouvé les archives des émissions de radio en question, qui confirment le récit de Beauvoir : il s'agissait d'émissions de divertissement. Beauvoir écrivit également pour la radio une adaptation radiophonique du roman Lamiel de Stendhal.

On peut toujours s'interroger sur l'opportunité pour Beauvoir d'accepter ou de refuser ce travail dans un contexte de guerre, alors que les informations de la radio officielle se faisaient le relai de la propagande vichyssoise. Toujours est-il qu'il est malhonnête et insultant d'attribuer à Beauvoir de prétendues sympathies en faveur des nazis qui n'ont jamais été les siennes. Au contraire, Sartre et elle avaient ébauché auparavant le projet d'un groupe de résistance de gauche, baptisé "Socialisme et liberté", mais leurs tentatives pour rallier Malraux et Gide au projet n'aboutirent pas, et le groupe ne dépassa pas le stade des réunions clandestines. On peut donc espérer que les personnes qui relaient des informations inexactes sans les avoir vérifiées fassent preuve à l'avenir de davantage de précision...

2 octobre 2016

"Va mener les vrais combats ailleurs" dit Mr Vrais Combats.

Dans l'expérience des féministes qui ont pour habitude de communiquer sur les réseaux sociaux, apparaît souvent un personnage récurrent. Appelons-le Mr Vrais Combats. Oui, car c'est la plupart du temps un homme. Lors d'une discussion sur un sujet féministe, il intervient et déclare, d'un ton passablement condescendant, que les féministes sont priées d'aller mener les "vrais combats" ailleurs, hors de France/Europe. "Ailleurs", c'est le plus souvent dans un pays lointain, musulman de préférence, car Mr Vrais Combats estime apparemment que l'oppression des femmes ne peut exister que dans un pays musulman, l'Afghanistan par exemple (il faut croire que Mr Vrais Combats est souvent un peu islamophobe sur les bords). Apparemment en France/Europe il n'y aurait aucun "vrai combat" féministe digne d'intérêt à mener. 

Déjà, relevons l'arrogance de Mr Vrais Combats, qui se sent autorisé à dire aux féministes ce qu'elles doivent faire, et même à leur indiquer la direction géographique à prendre. Dans le fond, si Mr Vrais Combats veut envoyer les féministes en Afghanistan, ce n'est sans doute pas par réelle sollicitude pour les femmes afghanes, mais juste pour se sentir débarassées d'elles, et de leurs discussions qui remettent gravement en question ses petites certitudes. 

Mr Vrais Combats pense t-il donc que les féministes françaises ne s'intéressent pas à ce qui se passe à l'étranger ? C'est faux, bien entendu, et régulièrement des groupes féministes français organisent des manifestations en solidarité avec les femmes d'autres pays, les femmes espagnoles et polonaises pour le droit à l'avortement, par exemple... 

L'arrogance de Mr Vrais Combats est telle qu'il se croit apte à créer une hiérarchie entre les "vrais combats" et ceux qui, apparemment, n'en sont pas à ses yeux. Mr Vrais Combats est un homme, avec son vécu d'homme qui bénéficie de privilèges dans une société sexiste, et il se croit apte à élaborer un classement entre différentes formes d'oppression qu'il ne subit pas lui-même ! On rêve. Le comportement de Mr Vrais Combats est quand même d'une indécence totale. 

En plus de cela, Mr Vrais Combats est tout simplement sexiste, même s'il prétend le contraire. Ce qu'il dit, en gros, c'est que le sexisme subi par les femmes dans le périmètre délimité par lui n'a aucune importance : seul compte pour lui le sexisme qui lui paraît trop criant (en fonction de ses critères personnels) ; une femme afghane sous une burqa, ça le choque. Mais une femme discriminée sans burqa ? Pas grave. En fait, Mr Vrais Combats n'aime pas l'idée que les femmes peuvent comparer leur situation à celles des hommes : elles ne devraient apparemment que se comparer entre elles, pour estimer par exemple que leur sort est "moins pire" que celui des femmes afghanes. En quoi le fait que le sort de certaines femmes est "moins pire" le rend plus acceptable ? J'ai lu un jour le commentaire d'un homme qui disait (je cite de mémoire): "Vous vous foutez de nos gueules ? Alors que des femmes sont vraiment opprimées par les islamistes ? (...) Par comparaison les femmes sont plutôt bien traitées en France". Oui, car apparemment nous devrions nous réjouir d'être "bien traitées", un peu comme des chiens qui seraient contents d'avoir des croquettes dans leur gamelle et de ne pas prendre trop de coups de pieds. Sachant qu'en France, il y a encore des femmes qui sont discriminées, violées, victimes de violence conjugale voire assassinées par un conjoint ou ex conjoint, permets-moi de faire un peu la fine bouche face à ce prétendu "bon traitement", Mr Vrais Combats. En fait, on s'en balance un peu d'être "bien traitées", ce que nous voulons c'est l'égalité, mais c'est cela que Mr Vrais Combats ne supporte pas. Fausse sollicitude mais vrai sexisme, Mr Vrais Combats n'est qu'un dominant arrogant de plus. 

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8 septembre 2016

Etre une femme sans être une mère

Avec la banalisation d'Internet, j'ai l'impression d'assister à une libération de la parole des childfree, et notamment des femmes childfree, sur le net (childfree, terme anglais qui désigne une personne sans enfant par choix ; le terme childless désigne une personne sans enfant, que ce soit une situation choisie ou non). De plus en plus de femmes prennent la parole, sur les blogs, les réseaux sociaux, pour dire haut et fort qu'elles ne veulent pas d'enfants et critiquer la pression sociale qu'elles peuvent subir, avec plus ou moins de force, de la part de personnes qui ne comprennent pas leur choix. Parfois ce sont aussi des femmes pas encore sûres de ce qu'elles veulent ou qui repoussent la maternité à plus tard, mais pour qui cette pression est tout aussi pesante. Pour ces femmes, Internet peut faire office d'espace de liberté inédit où elles peuvent parler longuement de ce qu'elles vivent et discuter avec des femmes ayant un vécu similaire. 

Car beaucoup de femmes, qu'elles désirent ou pas des enfants, constatent cette pression sociale qui pèse sur elles, beaucoup plus que sur les hommes. Certes, un homme qui déclare ne pas vouloir d'enfants peut subir aussi des remarques acerbes et désagréables ("Tu es égoïste", "Aucune femme ne voudra de toi si tu ne veux pas d'enfants", etc...). Cependant, les femmes childfree brisent peut-être un tabou encore plus lourd en affirmant qu'on peut être une femme sans être une mère. 

Pour un certain nombre de gens, en effet, la question n'est pas de savoir si on veut des enfants, mais quand on en aura, car il va de soi que cela doit arriver un jour. Personnellement, je reste abasourdie devant la tranquille assurance des gens qui, pour lancer une conversation ou par curiosité mal placée, n'hésitent pas à interroger lourdement : "Et toi, c'est pour quand ? Quand est-ce que tu t'y mets ?". Comme s'il allait de soi que faire un enfant était le projet incontournable et inévitable de tout être humain. Questions d'autant plus grossières que beaucoup de gens n'hésitent pas les poser sans seulement connaître leur interlocuteur ou interlocutrice, comme si la personne en face était tenue d'évoquer un sujet aussi intime avec n'importe qui. Cette personne peut très bien ne pas vouloir d'enfants, être stérile, essayer sans succès d'avoir des enfants depuis des années, le sujet peut avoir créé des tensions dans son couple, etc... Mais la personne qui pose la question inquisitrice n'a visiblement pas de scrupules (dans le cas où la personne visée serait perçue comme célibataire, la question bien lourde sera plutôt "Alors, toujours pas de copain/copine ?", assortie parfois d'un menaçant "tu ne vas pas rester vieille fille/vieux garçon, quand même ?"). 

Et dans le cas où une personne finit par dire qu'elle ne veut pas d'enfants, elle peut être tenue de répondre à de nouvelles questions inquisitrices ou de supporter des remarques douteuses : "Bah pourquoi ? C'est tellement bien d'avoir des enfants. C'est que du bonheuuur. Tu dis ça parce que tu es jeune. Tu es immature. Tu es égoïste. Tu changeras d'avis un jour. Tu dois changer d'avis. Change d'avis, maintenant". On peut d'ailleurs constater que s'il y a bien une discussion qui peut virer très vite au dialogue de sourds, c'est celle-là. Vous pouvez répéter inlassablement à certaines personnes que vous ne voulez pas d'enfants, cela n'empêchera pas ces personnes de revenir régulièrement à la charge pour vous poser encore et toujours les mêmes questions, comme si vous n'aviez absolument rien dit. Puisque il est entendu que vous allez forcément changer d'avis et que vous ne savez pas ce que vous dites (mais les autres savent apparemment mieux que vous). 

Pourquoi ne pas vouloir d'enfants ? Et pourquoi pas ? On ne harcèle pas de questions les gens qui veulent des enfants ou en ont. Faire des enfants est perçu comme "normal", "naturel", et on n'a pas à se justifier de la décision d'en faire. Alors moi, j'estime que je n'ai pas à me justifier ou à fournir une liste longue comme le bras de "raisons" pour lesquelles je ne veux pas d'enfants. D'ailleurs quand bien même je chercherais à donner ces raisons, je ne crois pas qu'elles suffiraient à tout expliquer. Si on ne veut pas d'enfants c'est parce qu'on n'a pas de désir d'enfants, et il n'est pas nécessaire de chercher plus loin. Le désir d'enfants n'est pas inné et ne concerne pas tout le monde. Je ne veux pas forcément entrer dans un "débat" sur le sujet, ni qu'on cherche à contrer mes "arguments" en cherchant à me démontrer par A + B que la maternité est merveilleuse et que je ne devrais pas passer à côté : ce n'est pas de l'ordre du débat, je prends les décisions qui concernent mon corps et mon utérus, point.  

Ma situation actuelle fait que je me sens relativement préservée de la pression sociale (encore jeune et on me dit souvent que je fais moins que mon âge, sans emploi stable et officiellement célibataire). Cependant j'ai tendance à redouter les jugements des gens et il n'est pas forcément évident de dire clairement que l'on ne désire pas d'enfants, jamais. En lisant des témoignages d'autres personnes childfree, je découvre des situations qui s'apparentent parfois clairement à du harcèlement régulier. Quand on affirme qu'on ne veut pas d'enfants, on nous prédit volontiers une vie triste et sinistre destinée à se terminer dans la solitude d'une chambre de maison de retraite. En réalité, une vie sans enfants n'a rien de triste, mais à mon avis la difficulté réside dans le fait de se construire une vie en dehors des repères balisés que les autres prévoient pour nous. Pour les femmes childfree, pas de complicité autour du test de grossesse, de l'échographie chez le gynécologue ou du récit d'accouchement. Etre childfree oblige à s'interroger sur la façon dont on veut vivre sa vie, le parcours de celle-ci laissant davantage place à l'imprévu. Je réalise qu'il n'est pas forcément évident de devenir une femme adulte childfree dans une société où une femme sans enfants est encore considérée plus ou moins par certaines personnes comme une post-ado un peu attardée. 

Quand on est une femme (ou perçu-e comme telle), on nous met en tête que nous devons être "féminine", c'est-à-dire correspondre à des normes sociales rigides et contradictoires concernant ce qui est considéré comme "féminin". Et la maternité fait partie de la vision de la "féminité" qu'on nous transmet. La maternité nous est même vendue comme le summum de la "féminité", l'aboutissement ultime de notre vie de femme. Au point que des gens imprégnés de cette vision sexiste et normative disent parfois à des femmes childfree : "Tu n'es pas une vraie femme si tu n'as pas d'enfants". Que sommes-nous alors ? Quand on est une femme childfree, on peut avoir cette impression dérangeante et assez humiliante qu'on n'est pas toujours une "vraie adulte" aux yeux des gens. Qu'on est incomplète, pas aboutie, que notre vie n'est pas sérieuse. On est supposée procréer pour gagner les galons sociaux de la Vraie Femme Accomplie, et en plus accoucher par voie basse peut être jugé préférable à la césarienne, le vagin dilaté étant apparemment le gage du statut de la Vraie Femme. J'ai déjà lu les propos de gens disant sérieusement qu'une femme qui n'avait pas été enceinte et n'avait pas accouché n'était pas allée au bout de son aboutissement physique (ou comment on peut s'appuyer sur la biologie pour tenir des propos purement idéologiques. Ces propos peuvent d'ailleurs être bien humiliants pour les femmes stériles, seraient-elles donc "inabouties" ou incomplètes ?). J'ai plutôt tendance à considérer que la possession d'un utérus n'oblige personne à être enceinte, et qu'il est pas nécessaire de tester obligatoirement toutes les potentialités de notre corps pour en avoir la pleine jouissance. 

Notre temps libre est suspect, nos occupations et distractions considérées comme "égoïstes". C'est aussi bien révélateur du sexisme : on encourage les femmes à ne pas trop penser à elles, à privilégier les autres, se sacrifier, à prendre en charge gratuitement les enfants et les vieux. Penser à soi, à sa carrière, à son épanouissement, son bien-être, ou à ses priorités, ça peut vite devenir suspect pour une femme (même une mère qui vient d'accoucher et retourne rapidement au travail n'échappe pas toujours à la médisance et aux remarques acerbes). D'une certaine façon, vivre en tant que femme childfree est un défi, qui peut être désorientant mais stimulant, dans la recherche du sens que nous voulons donner à notre existence, hors de certains sentiers balisés. 

19 août 2016

No comment.

Non, je ne veux pas commenter. 

Je ne veux pas donner d'avis sur la "polémique" qui a été lancée en France sur cette tenue appelée burkini que certaines femmes musulmanes portent pour se baigner à la plage. 

Je ne veux pas rentrer dans ce jeu là. Je suis féministe et je ne veux pas être utilisée comme caution au service de motivations douteuses. Je ne veux pas que des politiciens qui ne sont même pas féministes me dictent leurs priorités et me disent ce qui est prioritaire pour les femmes. Je ne veux pas disserter pour décréter que telle ou telle tenue n'est "pas compatible avec la République" (quel rapport, d'ailleurs ?). 

Je ne veux pas être une féministe qui sert d'idiote utile à l'islamophobie ambiante, contrairement à d'autres féministes qui ont sauté à pieds joints là dedans depuis longtemps. 

Je ne veux pas prendre position sur cette "polémique" du burkini car je refuse les termes du "débat" tels qu'ils sont posés. Je ne veux pas suivre les règles d'un jeu dont les dés sont pipés. 

Je ne veux pas décréter qu'une femme a l'obligation de montrer telle ou telle partie de son corps pour avoir le droit d'accéder à la plage. C'est contraire à l'idée que je me fais du féminisme. Mon féminisme n'est pas celui qui conduit à soutenir des hommes en uniforme ordonnant à des femmes de se déshabiller pour avoir le droit de se baigner dans la mer. Mon féminisme n'est pas islamophobe et pas autoritaire, et ne passe pas par des amendes qu'on met à des femmes pour les "libérer" de force. Je me fous de savoir si une femme qui va se baigner dans la mer se met toute nue ou met un maillot de bain ou garde une tenue plus couvrante. C'est son foutu droit de mettre absolument ce qu'elle veut pour se baigner sur une plage publique

Les féministes islamophobes, on vous voit. On vous voit avec vos expressions ridicules, "pro voile", et maintenant "pro burkini", qui ne veulent rien dire et sont mensongères, et ne sont là que pour déformer les propos des féministes qui ne pensent pas comme vous. Vous êtes à mes yeux de plus en plus indécentes. Vous n'êtes pas mes soeurs et je ne veux rien avoir à faire avec vous. 

8 août 2016

Je suis une féministe poilue

Quand des non féministes parlent de féminisme, la figure repoussoir de la "féministe poilue" est fréquemment évoquée. Parfois ce sont même des femmes féministes qui, spontanément, vont s'en distancier : "on n'est pas forcément des féministes poilues". Ainsi, une femme qui voudrait garder ses poils est implicitement assimilée à une femme qui "va trop loin", qui a une étrange lubie égalitariste suscitant la raillerie. Oui bon d'accord, c'est bien beau d'être pour l'égalité, mais quand même, rase-moi ces poils, tu vas ressembler à Chewbacca (ironise un homme qui a lui-même des poils trois fois plus épais sur le corps et une barbe de trois jours, voire de hipster). La féministe est tenue de ne pas "aller trop loin" pour ne pas faire peur (pas trop poilue, pas trop lesbienne, pas trop "masculine", on finit par les connaître, les critères de la féministe qui reste BCBG).

Dans une discussion sur la norme de l'épilation, sur les réseaux sociaux, j'ai vu surgir des hommes agacés qui décrétaient que tout cela était absolument secondaire, des discussions de filles bourges à côté de la plaque qui n'ont rien compris aux vrais problèmes des femmes, ceux qui sont vraiment importants. C'est fou comme des hommes se sentent autorisés à intervenir et à faire des sermons sur des sujets dont ils ignorent tout. Les hommes, pour la plupart, n'ont aucune idée de ce que peut représenter la norme de l'épilation, la contrainte qu'elle peut faire peser sur les femmes au quotidien. Le contrôle du corps que cela implique. "Bah tu t'en fous, ne t'épile pas, fais ce que tu veux, t'es libre", professe le mec ignorant. Merci, c'est donc si simple, mais moi je l'ignorais, pauvre nunuche que je suis. 

Pourtant, par rapport à d'autres femmes, je me sens privilégiée. Dans le sens où effectivement, je ne m'épile pas, et cela ne me pose pas problème au quotidien. Je corresponds au terrible cliché repoussant de la "féministe poilue" : féministe, pas épilée, et tenant à le rester ! Je suis même un cas relativement rare, sachant que je n'ai jamais épilé mes poils de ma vie. Dans une société où on apprend aux filles à haïr leurs poils, j'ai eu la "chance" d'être dotée de poils assez fins et peu voyants. Contrairement à d'autres filles, je n'ai aucun souvenir de remarques désobligeantes sur mes poils pendant mon adolescence. Je me revois, à presque 16 ans, me promenant avec des shorts très courts pendant l'été sans que personne ne dise rien. 

Face aux pubs télévisées où les femmes agitent leurs jambes épilées en l'air en se prenant pour des déesses, un autre modèle a fait office pour moi d'alternative : ma mère. Petite, j'avais l'habitude de rentrer dans la salle de bains quand ma mère y était et j'avais remarqué qu'elle avait des poils sous les bras et entre les jambes, et j'ai appris à trouver cela parfaitement normal. Beaucoup plus tard, j'ai découvert avec surprise les actrices des films pornos, aux sexes nus, je trouvais ça bizarre, infantile et plutôt laid. A mes yeux le sexe poilu de ma mère restait le seul "vrai" sexe de femme, d'une certaine façon.

Si je devais m'épiler aujourd'hui, alors que je suis adulte, je serais probablement bien maladroite pour cet exercice jamais effectué auparavant, et sans doute perçue comme une attardée à l'hygiène douteuse par un certain nombre de gens (en réalité, je le rappelle, l'épilation n'a rien à voir avec l'hygiène, et mes poils n'ont aucune odeur particulière après le bain et le déodorant...). Il n'est pourtant pas si loin, le temps où les femmes pouvaient poser avec des poils sous les bras, des hanches larges, exhiber leurs poils au cinéma, et être considérées comme belles... De nos jours la mode est plutôt aux mannequins anorexiques et à l'épilation intégrale. Aucun poil qui dépasse. Les femmes ont acquis des droits et des libertés (droit de vote, contraception, avortement légal...), mais la pression normative autour de leur corps est particulièrement pesante. Aujourd'hui, des ados à peine sorties de l'enfance croiraient mourir de honte si elles laissaient dépasser un léger duvet de poil... 

En ne m'épilant pas pendant des années, j'ai le sentiment d'avoir gagné pas mal de temps et d'argent (consacrés à autre chose qu'à l'épilation), et évité pas mal de douleurs inutiles (je n'aime pas souffrir inutilement et l'idée de hurler en m'arrachant des poils avec de la cire ne m'a jamais spécialement fait rêver... Je n'ai jamais trop pris au sérieux la sinistre sentence que j'ai entendue enfant, "il faut souffrir pour être belle"... Sans moi, je préfère encore rester moche). Cependant, face à une satisfaction si insolente de fille bien dans ses poils, des hommes aux poils sans doute bien plus épais que les miens viennent parfois ricaner qu'une fille comme moi ne risque pas de trouver de petit ami daignant lui faire l'amour. Mais mec, si ton fantasme personnel, c'est une poupée en plastique lisse sans poils et sans bourrelets nulle part, c'est ton problème, pas le mien (non pas que je compare certaines femmes à des poupées, mais je pense que certains hommes hétéros préfèrent réellement des poupées en plastique aux femmes réelles). D'une part j'ai déjà pu constater très concrètement qu'avoir quelques poils ne m'empêchait pas de dénicher des partenaires sexuels, et d'autre part finir en couple hétéro monogame stable pour le restant de mes jours n'est pas forcément l'objectif ultime de ma vie. Même que je les aime plutôt, mes poils, caresser le léger duvet sous mes bras sans lequel je ne m'imagine pas, et qu'un homme n'a pas trouvé dégueulasse de caresser aussi. 

Suis-je pour autant libérée de la fameuse pression à l'épilation ? Totalement détendue sous mes poils ? Même pas complètement. C'est dire si je sais combien elle est forte, la pression : même moi, l'ultime village gaulois qui résiste à la jambe lisse, je n'arrive pas à me sentir complètement libre de montrer mes poils en me foutant des regards. Il m'est déjà arrivé de penser que je pouvais perdre l'opportunité d'obtenir un emploi juste à cause de mes poils. Oui, car cher mec qui me rappelle d'un ton condescendant que je suis bien libre de faire ce que je veux, en fait, pour certains emplois avec tenue imposée, l'épilation des femmes peut être considérée comme un impératif, implicite ou explicite. Beaucoup de femmes ne chercheront pas forcément à montrer leurs poils pour un emploi impliquant une certaine présentation physique, tant peut être implantée dans leur tête l'idée qu'une tenue "correcte" implique automatiquement d'être épilée. Redoutant souvent de passer pour "sale" ou "négligée". Les hommes, eux, sont tranquilles, quand on leur impose une tenue, c'est le plus souvent avec un pantalon, et ils peuvent exhiber la plus épaisse des fourrures sans que celle-ci ne soit jugée dégueulasse. Combien de fois j'ai d'ailleurs vu des hommes, chemise largement ouverte ou torse nu quand il fait chaud, laissant tranquillement respirer leurs poils sans se soucier du moindre jugement, et ce même quand les poils en question ne sont pas particulièrement beaux à voir ? Je ne laisserai jamais un donneur de leçons mansplainer prétendre m'expliquer qu'il n'est pas prioritaire pour une femme de pouvoir aimer et accepter son corps en toute sérénité, qu'elle montre celui-ci ou non. Garder ou pas garder ses poils, peut-on dire, l'essentiel est de pouvoir choisir. Certes, mais encore faut-il qu'existent réellement des conditions permettant de choisir. 

 

5 février 2016

La haine de la langue arabe

J'essaie de faire le compte de toutes les histoires que j'ai entendues, récemment ou il y a quelques années, témoignant d'une peur, d'une haine pour la langue arabe, en France ou ailleurs. Des histoires qui prouvent que, en ces temps de racisme et d'islamophobie décomplexés, ce qui fait peur, met en colère, rend irrationnels des gens, ce n'est pas "seulement" la vision d'un Coran, d'une mosquée ou d'un foulard, mais aussi juste la langue arabe, en tant que langue. La langue du Coran aussi, certes, mais aussi tout simplement la langue des "arabes" et plus généralement d'une importante population arabophone aux diverses religions et origines. 

Dernière histoire dont j'ai eu connaissance, diffusée via Twitter : une enseignante avait prévu d'emmener ses élèves voir le film "Wadjda". "Wadjda" est un beau film saoudien qui raconte comment une adolescente cherche à s'émanciper dans une société très conservatrice et sexiste. Voilà la réaction d'une mère d'élève à laquelle cette enseignante a eu droit : 

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Voilà donc une mère qui s'offusque qu'on "impose à nos enfants d'écouter de l'arabe", un peu comme on s'offusquerait d'un fumeur imposant sa fumée de cigarette. Il faut croire que la langue arabe est bien dangereuse, pour qu'on songe sérieusement à en préserver des enfants innocents !

Récemment, dans une école corse, des parents d'élèves se sont émus que leurs enfants chantent la chanson "Imagine" dans cinq langues, dont l'arabe. Il y a quelques années, dans la région lyonnaise, une "polémique" similaire avait éclaté quand des enfants avaient préparé une chanson en arabe à l'école : http://lmsi.net/La-metaphore-laique-illustree-par

Aux Etats-Unis, il y a peu de temps, deux passagers ont été débarqués d'un avion parce qu'ils parlaient arabe, ce qui a inquiété d'autres passagers. Sur la page Facebook d'un magasin australien, plusieurs personnes sont venues protester contre des publicités en arabe (à voir ici) : http://wheres-margo.tumblr.com/post/137215243586/maskedlinguist-lizjamesbitch-patbaer 

Sur Twitter, peu de temps après les attentats parisiens du 13 novembre, j'ai lu le témoignage d'une personne dont une connaissance avait été dénoncée à la police parce qu'elle écrivait en arabe à la terrasse d'un café. 

Dans les établissements scolaires français, des principaux et proviseurs refusent d'ouvrir des classes d'arabe pour des raisons parfois délirantes : http://www.telerama.fr/idees/l-ecole-francaise-cancre-en-arabe,126251.php Pendant ce temps là, François Hollande suscite des railleries avec sa prononciation approximative de l'acronyme "Daesh" : http://orientxxi.info/magazine/la-france-doit-redecouvrir-la-langue-arabe,0779 C'est dire si l'enseignement de l'arabe en France nécessite encore des développements !

Le fait que l'actuelle ministre de l'Education nationale soit originaire d'un pays arabe suscite visiblement la colère des racistes, et du côté des réseaux d'extrême-droite sur le net, il n'est pas rare de voir des gens délirer sur des théories selon lesquelles Najat Vallaud Belkacem voudrait "imposer l'arabe" aux élèves (quand on voit combien il est difficile d'apprendre l'arabe en France, comme le rappelle l'article de Télérama posté plus haut, on ne peut que réaliser combien ces théories sont complètement fantaisistes. Si vraiment la ministre souhaitait "imposer l'arabe", de toute évidence il faudrait en conclure qu'elle s'y prend très mal !). 

Sur Twitter, j'ai déjà vu à plusieurs reprises des utilisateurs exprimer une franche défiance pour d'autres personnes utilisant la langue arabe. Par exemple, un utilisateur de Twitter disant à un autre : "Vous avez une phrase en arabe que je ne comprends pas dans votre description, donc je ne vous "suis" pas" (tu peux toujours essayer Google Translate, ça devrait calmer ta panique...). Ou encore un homme qui interrogeait agressivement un jeune homme ayant un prénom en arabe dans son pseudo : "C'est quoi ce mot en arabe ? Tu n'oses pas le dire ?" (c'était un banal prénom, donc...). Dans l'esprit de certaines personnes, la langue arabe, semble, par nature, dangereuse et porteuse d'une vague menace. Dans la "logique" des racistes anti-arabes, les personnes arabes, animées par la volonté de nuire, ne peuvent apparemment utiliser la langue arabe que comme un code secret pour cacher leurs sombres desseins, et non comme une banale langue parmi d'autres pour écrire un prénom ou dire "Bonjour, passe-moi le pain s'il te plaît". Le fait que cette langue obéisse à des règles assez différentes du français (autre alphabet, écriture de droite à gauche...) irrite sans doute d'autant plus les racistes qui ne peuvent pas la maîtriser aussi facilement qu'une langue latine plus familière à leurs yeux.

Sur Facebook, j'avais eu l'occasion de tomber sur ces réactions délirantes d'agressivité sur une page publique, bien révélatrices de l'irrationnalité qui peut saisir des gens quand il est question de la langue arabe. Gageons que s'il avait été question de lancer un "welcome" à des immigrés anglophones, cela n'aurait pas suscité les mêmes commentaires hostiles !

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J'ai eu l'occasion par ailleurs de lire le témoignage d'une personne dont une connaissance, discutant en arabe sur un quai de RER parisien, avait eu droit à un crachat dans la figure assorti d'un "En France on parle français" de la part de l'agresseur. 

Tous ces exemples que j'évoque me semblent révélateurs d'un climat particulier de détestation de la langue arabe en France (et ailleurs). Pendant ce temps là, dans les pays arabes, beaucoup de gens font l'effort d'apprendre l'anglais et/ou le français, bien que ces langues soient assez différentes de l'arabe... Les Occidentaux blancs ont l'air de trouver normal que les arabophones fassent l'effort de s'adapter à eux, mais l'inverse n'est pas forcément vrai. Quel message envoyons-nous aux personnes arabophones du reste du monde, en entretenant un tel désintérêt en France pour la langue arabe, une telle ignorance, alors que de nombreuses personnes résidant dans ce pays sont arabophones ? Nous avons tout intérêt, pour favoriser le développement de la connaissance et la compréhension vis-à-vis de cultures méconnues et méprisées en France, à enseigner davantage la langue arabe et à rendre les cours d'arabe plus accessibles à un large public. 

Un témoignage intéressant d'une personne qui étudie l'arabe : http://lesossurlapeau.canalblog.com/archives/2015/10/08/32737300.html

21 janvier 2016

L'illusion du "mérite" et du "talent"

Aucune femme nominée pour le Grand prix de BD d'Angoulême.

Aucun-e acteur ou actrice noir-e nominé-e aux Oscars. 

Je ne peux pas m'empêcher de faire un rapprochement entre ces deux "polémiques" récentes : le constat accablant qu'un groupe de personnes peut être totalement absent des nominés pour une remise de prix (et même plusieurs groupes). Bizarrement on peut même faire le constat que les hommes blancs ont tendance, souvent, à être majoritaires. Comme à l'Assemblée nationale ou à la tête de grandes entreprises. Plein d'hommes blancs partout quand il est question d'avoir du pouvoir ou de la reconnaissance, hommes blancs qui d'ailleurs sont aussi majoritairement hétéros et cisgenres.

Et donc, à chaque fois qu'une "polémique" sur cette question de la représentation éclate, les mêmes commentaires reviennent : "on juge sur le talent/le mérite de la personne, pas sur son genre ou sa couleur de peau", "c'est raciste/sexiste de prêter attention comme ça au genre ou à la couleur de peau". 

Que faut-il en déduire ? Qu'aucune femme dessinatrice ne "mérite" donc de recevoir un Grand prix de bande dessinée ? Qu'aucun comédien, comédienne noir-e n'a le "talent" suffisant pour être nominé-e aux Oscars ? Les hommes blancs hétéros cisgenres seraient-ils naturellement, par on ne sait quel miracle, plus talentueux et méritants que les autres ?

Un jour, à propos d'une discussion sur l'Assemblée nationale sur les réseaux sociaux, un homme blanc m'a sorti qu'il ne fallait pas choisir des femmes politiciennes parce qu'elles sont des femmes, mais pour leur mérite. Je lui ai fait remarquer que les hommes ne sont pas majoritaires parce qu'ils sont plus "méritants", mais parce qu'ils sont privilégiés en tant qu'hommes. Visiblement le jeune homme n'a pas apprécié cette remise en question de ses mérites naturels et évidents d'homme blanc, car il m'a demandé de fermer ma gueule. 

N'empêche, je me dis que ça doit être bien cool d'être un homme blanc hétéro cisgenre valide. Voir des hommes blancs hétéros cisgenres majoritaires partout, et penser qu'ils sont là juste parce qu'ils l'ont mérité. Penser, où qu'on soit, qu'on a mérité sa place et qu'on ne doit tout qu'à son travail, son mérite, son talent ou que sais-je encore. Ne même pas se rendre compte que d'autres qui ont autant de qualités peuvent être discriminés, refoulés franchement ou plus sournoisement en raison de leur sexe, leur couleur de peau, leurs origines, leur religion, leur orientation sexuelle, leur transidentité, leur handicap et sans doute bien d'autres choses, ne pas voir comme ces autres peuvent galérer. Ne jamais remettre la légitimité de sa place en question par rapport à tous ces critères. 

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C'est la vie, que veux-tu
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